On The Road Again


Bernard Lavilliers - On The Road Again





"Nous étions jeunes et larges d'épaules
Bandits joyeux, insolents et drôles
On attendait que la mort nous frôle
On the road again, again
On the road again, again "







Il glissait sous les draps jusqu’à se rendre au bord du lit, restait assis là, les pieds nus sur le carrelage. Elle ne s’était pas réveillée. Il respirait doucement attendant de finir de s’éveiller dans les maigres fils du petit jour qui s’infiltraient dans la chambre. Saisi peu à peu par le froid ambiant qui contrastait avec la chaleur de sous l’édredon, il décida de se lever. Toujours sans bruit, il ramassa au passage sa paire de santiags qu’il avait religieusement laissées, le soir précèdent avant de se coucher, au pied du lit. Il descendit précautionneusement l’escalier, évitant les craquements du bois, en portant ses précieuses chaussures mythiques du bout des doigts.


Il les avait achetées le jour d’avant, lors du déclic, de la révélation. Il était entré plus ou moins par hasard dans la boutique, comme happé par un mouvement de désir incontrôlé, en compagnie de Marie, son amante depuis quelques mois. Tout concordait, elle aussi. Il l’avait rencontrée à la fin d’une soirée de vieux amis en l’honneur du bon vieux temps. Il les avait tous séchés sur ce coup : il était parti sur la moto de cette magnifique blonde vêtue de cuir, fièrement monté à l’arrière de la Harley-Davidson. Les autres étaient restés cois, sur le quai de leur nostalgie. Elle l’avait emmené chez elle, une vieille bicoque en pierre et en bois à l’extérieur du périphérique. Ils avaient fait l’amour direct, comme par passion. Il n’avait pas cherché à comprendre pourquoi la différence d’âge n’avait rien empêché, elle avait au moins vingt-cinq ans de moins que lui. À l’aube, encore moites de chaleur animale, ils étaient sortis moitié nus sur la terrasse déjà inondée du soleil naissant, avaient bu une dernière bière en fumant le pétard qui va bien.


Six mois plus tard, elle le suivait dans cette boutique. Toute en correspondance elle faisait résonner en harmonie, ce réveil, cette nouvelle évidence, ce retour de vague qui remontait dans ses entrailles cette jeunesse éloignée depuis tant. Cette boutique remplie de fringues en cuir indémodables, les vêtements qui leur coutaient à l’époque trois mois de travail d’été pour pouvoir se les offrir. Et à elle, s’était son style aussi, l’amoureuse de Harley et de rêve américain, la rockeuse des seventies sortie d’on ne sait quelle machine à remonter le temps, toute fraiche, toute jeune, et pleine d’enthousiasme pour vivre la vie de la génération de ses propres parents. Décalage insensé.


Il s’offrit une paire de tiagues et deux blousons Schott pour elle et lui. Et puis sortant de là, comme en sortant d’un rêve, il lui annonça d’un air décidé : « demain, je pars ! » Voyant son air étonné et suspicieux, il dut lui expliquer à sa façon. « J’ai cinquante balais, il est temps de vivre mes rêves, de réaliser ce qu’à peine j’ai effleuré il y a trente ans. » Il ne voulut rien révéler d’autre, même si elle le traitait de fou et le raillait pour l’obliger à en dire plus.


Il alla au robinet de la cuisine, se passa de l’eau froide sur la figure pour le coup de fouet, s’essuya les mains sur les cheveux en les lissant vers l’arrière. Les mains appuyées sur l’évier, il se regarda un instant dans le miroir, intensément, puis il enfila un jean, un teeshirt blanc, ses pompes et son blouson en cuir. En ouvrant la porte qui donnait de la cuisine vers l’extérieur, il se regarda une autre fois dans la glace, dans ses vêtements neufs et pourtant issus du passé. Il lissa encore ces cheveux vers l’arrière agrandissant un peu plus son front dégarni. Il referma la porte sans bruit, le froid brulait sa peau, le soleil brillait dur dans le ciel bleu de l’hiver. Il tira ses Ray-Ban de leur étui et les ajusta sur son nez. Il marchait vers l’absolu, enfin.

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